L’EUCHARISTIE, MYSTERE DE FOI ET D’AMOUR
La veille de la fête solennelle de Pâques, Jésus, sachant que l’heure de son départ de ce monde était venue, comme il avait aimé les siens qui vivaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. Ce verset de saint Jean annonce au lecteur de son Évangile que quelque chose de grand arrivera ce jour-là. C’est un préambule tendrement affectueux, identique à celui que saint Luc recueille dans son récit : J’ai désiré ardemment — affirme le Seigneur — manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Nous commençons par demander dès maintenant au Saint-Esprit de nous préparer à comprendre chaque geste et chaque expression de Jésus-Christ. Parce que nous voulons vivre une vie surnaturelle, parce que le Seigneur nous a manifesté sa volonté de se donner à nous comme aliment de notre n°, et parce que nous reconnaissons que lui seul a des paroles de vie éternelle.
La foi nous fait confesser avec Simon-Pierre : Nous, nous avons cru et nous avons su que tu es le Christ, le Fils de Dieu. Et c’est cette foi qui, unie à notre dévotion en ce moment sublime, nous pousse à imiter l’audace de Jean : à nous approcher de Jésus et à incliner la tête sur la poitrine du Maître, qui aimait ardemment les siens et — nous venons de l’entendre — allait les aimer jusqu’à la fin.
Le langage est bien pauvre pour expliquer, même approximativement, le mystère du Jeudi Saint. Mais il n’est pas difficile d’imaginer en partie les sentiments qu’avait Jésus en son cœur, lors de cette dernière soirée qu’il passait avec les siens avant le sacrifice du Calvaire.
Pensez à l’expérience, si humaine, de la séparation de deux êtres qui s’aiment. Ils aimeraient être toujours ensemble, mais le devoir — quel qu’il soit — les oblige à s’éloigner l’un de l’autre. Ils désireraient rester ensemble et ils ne le peuvent pas. L’amour de l’homme, si grand soit-il, a des limites ; il a recours à un symbole. Ceux qui se quittent échangent un souvenir ; peut-être une photographie, avec une dédicace si enflammée qu’on est surpris que le papier n’en brûle pas. Ils ne peuvent pas faire davantage : les désirs des créatures dépassent tellement leurs possibilités.
Ce que nous ne pouvons pas, le Seigneur le peut. Jésus-Christ, Dieu parfait et homme parfait, ne nous laisse pas un symbole, mais la réalité : il reste lui-même. Il ira vers le Père, mais il restera avec les hommes. Il ne nous laissera pas un simple cadeau qui nous fasse évoquer sa mémoire, une image qui tende à s’effacer avec le temps, comme la photographie qui rapidement pâlit, jaunit, et n’a pas de sens pour ceux qui n’ont pas vécu ce moment d’amour. Sous les espèces du pain et du vin, il est là, réellement présent : avec son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité.
La joie du Jeudi Saint
Comme on comprend bien, maintenant, la clameur incessante qu’ont fait monter les chrétiens, en tout temps, devant l’Hostie Sainte ! Chante, ô ma langue, le mystère de ce Corps glorieux, ainsi que du précieux Sang que versa — rançon du monde — le Fils de la Vierge Féconde, le Roi éternel des Peuples. Il faut adorer avec dévotion ce Dieu caché : c’est le même Jésus-Christ qui naquit de la Vierge Marie ; le même qui souffrit et fut immolé sur la Croix ; le même dont le côté transpercé répandit du sang et de l’eau.
Voilà le banquet sacré où l’on reçoit le Christ lui-même ; la mémoire de la Passion se renouvelle, et, avec lui, l’âme parle intimement à son Dieu et possède un gage de la gloire à venir.
La liturgie de l’Église a résumé, en strophes brèves, les chapitres suprêmes de l’histoire de l’ardente charité que le Seigneur nous dispense.
Le Dieu de notre foi n’est pas un être lointain, qui contemple avec indifférence le sort des hommes : leurs aspirations, leurs luttes, leurs angoisses. C’est un Père qui aime ses enfants au point d’envoyer le Verbe, Seconde Personne de la Très Sainte Trinité, pour que, en s’incarnant, il meure pour nous et nous rachète. C’est ce même Père aimant qui nous attire maintenant doucement vers lui, par l’action du Saint-Esprit qui habite en nos cœurs.
La joie du Jeudi-Saint vient de là : du fait de comprendre que le Créateur a débordé d’affection pour ses créatures. Notre Seigneur Jésus-Christ, comme si toutes les autres preuves de la miséricorde n’avaient pas été suffisantes, institue l’Eucharistie pour que nous puissions l’avoir toujours près de nous et parce que — dans la mesure où nous pouvons comprendre — celui qui n’a besoin de rien, ne veut pas se passer de nous. La Trinité s’est éprise de l’homme, élevé à l’ordre de la grâce et fait à son image et ressemblance ; elle l’a racheté du péché d’Adam, qui est retombé sur toute sa descendance, et des péchés personnels de chacun — et elle désire vivement demeurer dans notre âme : celui qui m’aime observera ma doctrine et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure.
L’Eucharistie et le mystère de la Trinité
Ce courant trinitaire d’amour pour les hommes se perpétue d’une manière sublime dans l’Eucharistie. Nous avons tous appris dans le catéchisme, il y a longtemps, que la Sainte Eucharistie peut être considérée comme sacrifice et comme sacrement ; et que le sacrement nous est montré comme communion et comme un trésor sur l’autel : dans le tabernacle. L’Église consacre une autre fête au mystère de l’Eucharistie, au Corps du Christ — Corpus Christi — présent dans tous les tabernacles du monde. Aujourd’hui, Jeudi-Saint, nous allons fixer notre attention sur la Sainte Eucharistie, Sacrifice et Aliment, sur la messe et sur la sainte communion.
Je parlais d’un courant d’amour trinitaire pour les hommes. Et où mieux le remarquer que dans la messe ? La Trinité entière agit dans le Saint Sacrifice de l’autel. C’est pourquoi j’aime tant répéter, pour terminer la collecte, la secrète et la postcommunion, ces mots : Par Jésus-Christ, ton Fils — nous nous adressons au Père — Notre Seigneur, qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu, pour tous les siècles des siècles. Amen.
Dans la messe, nous invoquons constamment le Père. Le prêtre est un représentant du Prêtre éternel, Jésus-Christ, qui est, en même temps, la Victime. Et l’action de l’Esprit Saint, à la messe, n’est pas moins ineffable, ni moins certaine. Par la vertu de l’Esprit Saint, écrit saint Jean de Damas, s’effectue la conversion du Pain en Corps du Christ.
Cette action de l’Esprit Saint est clairement exprimée quand le prêtre demande la bénédiction divine sur l’offrande : Viens, sanctificateur, Dieu éternel et tout-puissant, et bénis ce sacrifice préparé pour ton Saint Nom, l’holocauste qui donnera au Très Saint Nom de Dieu la gloire qui lui est due. La sanctification que nous implorons est attribuée au Paraclet, que le Père et le Fils nous envoient. Nous reconnaissons aussi cette présence active du Saint-Esprit dans le sacrifice quand nous disons, un peu avant la communion : Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, qui, par la volonté du Père et la coopération du Saint-Esprit, as donné par ta mort la vie au monde….
Toute la Trinité est présente dans le sacrifice de l’autel. Par la volonté du Père, avec la coopération du Saint-Esprit, le Fils s’offre en oblation rédemptrice. Apprenons à nous adresser à la Très Sainte Trinité, Dieu Un et Trine : trois personnes divines dans l’unité de leur substance, de leur amour, de leur action efficacement sanctificatrice.
Immédiatement après le lavabo, le prêtre invoque : Reçois, Trinité Sainte, cette oblation que nous t’offrons en mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension de Jésus-Christ, Notre Seigneur. Et, à la fin de la messe, il y a une autre oraison de brûlant hommage à Dieu Un et Trine : Placeat tibi, Sancta Trinitas, obsequium servitutis meæ… Que te soit agréable, Trinité Sainte, l’hommage de ton serviteur ; ce sacrifice que, malgré mon indignité, j’ai présenté aux regards de ta majesté, rends-le digne de te plaire et capable, par l’effet de ta miséricorde, d’attirer ta faveur sur moi-même et sur tous ceux pour qui je l’ai offert.
La messe — j’y insiste — est une action divine, trinitaire, pas humaine. Le prêtre qui célèbre sert le dessein du Seigneur, en lui prêtant sa voix et son corps ; il n’agit pas à titre personnel, mais in persona et in nomine Christi, en la personne et au nom du Christ.
L’amour de la Trinité pour les hommes fait que, de la présence du Christ dans l’Eucharistie, naissent pour l’Église et pour l’humanité toutes les grâces. C’est le sacrifice qu’avait prophétisé Malachie : De l’Orient au couchant mon Nom est grand parmi les nations, et en tout lieu un sacrifice d’encens est présenté à mon Nom ainsi qu’une offrande pure. C’est le sacrifice du Christ offert au Père avec la coopération du Saint-Esprit : oblation d’une valeur infinie, qui éternise en nous la Rédemption, ce que ne pouvaient faire les sacrifices de l’Ancienne Loi.
La sainte messe dans la vie du chrétien
La sainte messe nous place ainsi devant les mystères essentiels de la foi, car elle est le don de la Trinité à l’Église On comprend ainsi que la messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien. Elle est la fin de tous les sacrements. A la messe, s’achemine vers sa plénitude la vie de la grâce que le Baptême a déposée en nous et qui grandit fortifiée par la Confirmation. Quand nous participons à l’Eucharistie, écrit saint Cyrille de Jérusalem, nous faisons l’expérience de la spiritualisation déifiante du Saint-Esprit, qui non seulement nous configure au Christ, comme il arrive au Baptême, mais nous rend entièrement semblables au Christ, en nous associant à la plénitude du Christ Jésus.
L’effusion de l’Esprit Saint, en nous rendant semblables au Christ, nous amène à nous reconnaître enfants de Dieu. Le Paraclet, qui est charité, nous apprend à imbiber toute notre vie de cette vertu ; et consummati in unum, devenus un avec le Christ, nous pouvons être au milieu des hommes, ce que saint Augustin dit de l’Eucharistie : signe d’unité, lien de l’Amour.
Je ne révèle rien de nouveau en disant qu’il y a des chrétiens qui ont une vision très pauvre de la sainte messe : pour certains, c’est un simple rite extérieur, quand ce n’est pas une convention sociale. C’est que nos cœurs sont capables, par mesquinerie, de s’habituer à vivre le plus grand don de Dieu aux hommes. Dans la messe, dans cette messe que nous célébrons maintenant, la Très Sainte Trinité intervient, je le répète, d’une manière spéciale. Répondre à tant d’amour exige de nous un don total du corps et de l’âme : nous écoutons Dieu, nous lui parlons, nous le voyons, nous le mangeons. Et quand les paroles ne suffisent plus, nous chantons, et nous encourageons notre langue — Pange lingua ! — à proclamer, en présence de l’humanité entière, les grandeurs du Seigneur.
Vivre la sainte messe, c’est demeurer continuellement en prière, avoir la conviction que, pour chacun de nous, il s’agit d’une rencontre personnelle avec Dieu : nous adorons, nous louons, nous demandons, nous rendons grâces, nous réparons pour nos péchés, nous nous purifions, nous nous sentons unis dans le Christ avec tous les chrétiens.
Il nous est peut-être arrivé de nous demander comment répondre à tant d’amour de Dieu ; nous avons peut-être désiré voir clairement exposé un programme de vie chrétienne. La solution est facile et à la portée de tous les fidèles : participer amoureusement à la sainte messe, apprendre à rencontrer Dieu dans la messe, parce que ce sacrifice contient tout ce que Dieu veut de nous.
Permettez-moi de vous rappeler ce que vous avez eu si souvent l’occasion d’observer : le déroulement des cérémonies liturgiques. Si nous les suivons pas à pas, il est très possible que le Seigneur fasse découvrir à chacun de nous ce qu’il doit améliorer, quels sont les défauts qu’il doit déraciner, et quel doit être notre comportement fraternel avec tous les hommes.
Le prêtre se dirige vers l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouit notre jeunesse. La sainte messe débute par un chant de joie, car Dieu est là. C’est cette joie qui, avec la reconnaissance et l’amour, s’exprime par le baiser à l’autel, symbole du Christ et souvenir des saints, espace réduit, sanctifié, parce que c’est là que s’accomplit ce sacrement dont l’efficacité est infinie.
Le Confiteor met en évidence notre indignité ; non le souvenir abstrait de la faute, mais la présence, si concrète, de nos péchés et de nos fautes. C’est pourquoi nous répétons : Kyrie eleison, Christe eleison, Seigneur, aie pitié de nous ; Christ, aie pitié de nous. Si le pardon dont nous avons besoin était en relation avec nos mérites, c’est une tristesse amère qui jaillirait alors de notre âme. Mais, par bonté divine, le pardon nous vient de la miséricorde de Dieu, que nous louons déjà — Gloria ! — car Toi seul es Saint, Toi seul es Seigneur, Toi seul es le Très Haut Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.
Nous écoutons maintenant la Parole de l’Écriture, l’Epître et l’Évangile, lumières du Paraclet, qui parle en langage humain pour que notre intelligence comprenne et contemple, pour que notre volonté se fortifie et que l’action s’accomplisse. Parce que nous sommes un seul peuple qui confesse une seule foi, un Credo ; un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Ensuite, l’offrande : le pain et le vin des hommes. C’est peu, mais la prière l’accompagne : reçois-nous en ta présence, Seigneur, avec un esprit d’humilité et le cœur contrit ; et que le sacrifice que nous t’offrons aujourd’hui, Seigneur, arrive en ta présence de telle sorte qu’il te soit agréable. Le souvenir de notre misère nous envahit de nouveau, ainsi que le désir que tout ce qui va au Seigneur soit propre et purifié : je laverai mes mains, j’aime le décor de ta maison.
Il y a un instant, avant le lavabo, nous avons invoqué le Saint-Esprit, et nous lui avons demandé de bénir le sacrifice offert à son Saint Nom. La purification une fois achevée, nous nous adressons à la Trinité — suscipe, Sancta Trinitas — pour qu’elle accueille ce que nous présentons en mémoire de la vie, de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension du Christ, en l’honneur de Marie, toujours Vierge, en l’honneur de tous les saints.
Que le sacrifice serve au salut de tous — Orate, fratres, supplie le prêtre — car mon sacrifice est le vôtre, celui de toute l’Église. Priez, mes frères, même si vous n’êtes qu’un petit nombre ; même s’il n’y a qu’un seul chrétien qui soit présent, et même si le célébrant est seul : parce que toute messe est l’holocauste universel, le rachat de toutes les tribus, de toutes les langues, de tous les peuples et de toutes les nations.
Tous les chrétiens, par la communion des saints, reçoivent les grâces de chaque messe, qu’elle soit célébrée devant des milliers de personnes ou seulement devant un enfant de choeur distrait. Dans tous les cas, la terre et le ciel s’unissent pour entonner avec les anges du Seigneur : Sanctus, Sanctus, Sanctus… J’applaudis et je m’unis à la louange des anges : cela ne m’est pas difficile, parce que je me sais entouré d’eux quand je célèbre la sainte messe. Ils sont en train d’adorer la Trinité. De même que je sais aussi que la Très Sainte Vierge intervient, en quelque sorte, en raison de son union intime avec la Très Sainte Trinité, et parce qu’elle est mère du Christ, de sa Chair et de son Sang : mère de Jésus-Christ, Dieu parfait et Homme parfait. Jésus-Christ, conçu dans le sein de Sainte Marie sans l’intervention d’un homme, par la seule vertu du Saint-Esprit, a le Sang même de sa mère et c’est ce Sang qui est offert en sacrifice rédempteur au Calvaire et à la sainte messe.
Nous entrons ainsi dans le canon, avec une confiance filiale qui nous fait appeler très clément Dieu Notre Père. Nous le prions pour l’Église et pour tous ceux qui appartiennent à l’Église : pour le Pape, pour notre famille, pour nos amis et nos camarades. Et le catholique, avec un cœur universel, prie pour tout le monde, car son zèle enthousiaste ne peut exclure personne. Pour que la pétition soit accueillie, nous rappelons nos liens avec la glorieuse et toujours Vierge Marie, ainsi qu’avec une poignée d’hommes qui, les premiers, ont suivi le Christ et sont morts pour lui.
Quam oblationem… L’instant de la consécration approche. Maintenant, à la messe, c’est le Christ qui agit une nouvelle fois à travers le prêtre : Ceci est mon Corps. Ceci est le calice de mon Sang. Jésus est avec nous ! Avec la Transsubstantiation, l’infinie folie de l’Amour divin, dictée par l’Amour, se manifeste de nouveau. Quand aujourd’hui viendra ce moment, que chacun de nous sache dire en silence au Seigneur que rien ne pourra nous séparer de lui, que par sa disponibilité — il est là sans défense — à rester sous les fragiles apparences du pain et du vin, il a fait de nous des esclaves volontaires : præsta meæ menti de te vivere, et te illi semper dulce sapere, fais que je vive toujours de toi et que je savoure toujours la douceur de ton amour.
D’autres prières — car nous sommes toujours portés à demander — pour nos frères défunts, pour nous-mêmes. Toutes nos infidélités, nos misères, sont là aussi. La charge est lourde, mais il veut la porter pour nous et avec nous. Le canon s’achève par une autre prière à la Sainte Trinité : per Ipsum, et cum Ipso, et in Ipso, par le Christ, avec le Christ et dans le Christ, notre Amour, que te soient rendus, à toi, Père tout-Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles.
Jésus est le Chemin, le Médiateur ; en lui se trouve tout ; hors de lui, il n’y a rien. En union avec le Christ, qui nous l’a appris, nous osons appeler le Tout-Puissant Notre Père : celui qui a fait le ciel et la terre est ce Père aimant qui attend que nous revenions à lui continuellement, tels de nouveaux et incorrigibles enfants prodigues.
Ecce Agnus Dei… Domine, non sum dignus… Nous allons recevoir le Seigneur. Sur la terre on accueille avec des lumières, de la musique et des vêtements de gala les personnes de haute condition. Pour recevoir le Christ dans notre âme, comment devons-nous nous préparer ? Avons-nous parfois pensé quelle serait notre conduite si l’on ne pouvait communier qu’une seule fois dans sa vie ?
Quand j’étais enfant, la pratique de la communion fréquente n’était pas encore répandue. Je me rappelle comment on se préparait à communier : on prenait grand soin de bien disposer son âme et son corps. Le meilleur costume, les cheveux bien peignés, le corps propre, avec peut-être un peu de parfum… C’étaient des délicatesses d’amoureux, d’âmes délicates et fortes, qui savaient rendre amour pour amour.
C’est avec le Christ dans l’âme que nous achevons la sainte messe ; la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit nous accompagne toute la journée, dans notre tâche simple et normale de sanctification de toutes les nobles activités humaines.
En assistant à la sainte messe, vous apprendrez à approcher chacune des personnes divines : le Père qui engendre le Fils ; le Fils qui est engendré par le Père ; et l’Esprit Saint qui procède des deux. En nous adressant à l’une des trois Personnes, c’est à un seul Dieu que nous nous adressons ; et en nous adressant aux Trois, à la Trinité, nous nous adressons également à un seul Dieu, unique et véritable. Aimez la messe, mes enfants, aimez la messe. Et communiez avec ferveur, même si vous vous sentez froids, même si l’émotivité ne répond pas : communiez avec foi, avec espérance, avec une charité ardente.
Intimité avec Jésus-Christ
Celui qui n’aime Pas la sainte messe, qui ne s’efforce pas de la vivre avec sérénité, avec ferveur, avec amour, n’aime pas le Christ. L’amour rend les amoureux fins, délicats ; il leur fait découvrir des raffinements et des attentions, parfois infimes, mais qui sont toujours l’expression d’un cœur épris. C’est ainsi que nous devons assister à la messe. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que ceux qui veulent entendre une messe courte et dite avec précipitation démontrent, par cette attitude peu élégante, qu’ils ne sont pas encore arrivés à comprendre ce que signifie le Sacrifice de l’autel.
Notre amour pour le Christ qui s’offre à nous, nous pousse à savoir trouver, à la fin de la messe, quelques minutes pour une action de grâces personnelle, intime, qui prolonge dans le silence du cœur cette autre action de grâces qu’est l’Eucharistie. Comment nous adresser à lui, comment lui parler, comment nous comporter ? La vie chrétienne n’est pas faite de normes rigides, car l’Esprit Saint ne guide pas collectivement les âmes, mais, à chacune, il insuffle ces résolutions, ces inspirations et ces actes d’amour qui vont l’aider à saisir et à accomplir la volonté du Père. Cependant je pense que la trame de notre dialogue avec le Christ, dans l’action de grâces après la messe, peut consister bien souvent à considérer que le Seigneur est, pour nous, Roi, Médecin, Maître et Ami.
Il est Roi et il désire régner sur nos cœurs d’enfants de Dieu. Mais ne pensons pas aux royautés humaines ; le Christ ne domine pas et il ne cherche pas à s’imposer, car il n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Son royaume, c’est la paix, la joie, la justice. Le Christ, notre Roi, n’attend pas de nous de vains raisonnements, mais des actes, car ce n’est pas celui qui dit Seigneur, Seigneur ! qui entrera au royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père du ciel, celui-là entrera.
Il est Médecin et il soigne notre égoïsme si nous laissons sa grâce pénétrer jusqu’au fond de notre âme. Jésus nous a montré que la pire des maladies est l’hypocrisie, l’orgueil, qui pousse à dissimuler les péchés personnels. Avec ce Médecin, il est indispensable d’être d’une sincérité totale, d’expliquer entièrement la vérité, et de dire : Domine, si vis, potes me mundare, Seigneur, si tu veux — et tu le veux toujours — tu peux me guérir. Tu connais ma faiblesse ; je ressens ce symptôme, je souffre de telles faiblesses. Et nous lui montrons simplement les plaies ; et le pus, s’il y a du pus. Seigneur, toi qui as soigné tant d’âmes, fais que, en te possédant dans mon cœur ou en te contemplant dans le Tabernacle, je te reconnaisse comme Médecin divin.
Il est Maître d’une science que lui seul possède : celle de l’amour sans limites de Dieu et, en Dieu, de tous les hommes. On apprend à l’école du Christ que notre existence ne nous appartient pas : lui, il a donné sa vie pour tous les hommes et, si nous le suivons, nous devons comprendre que nous, nous ne pouvons pas nous approprier la nôtre d’une manière égoïste, sans partager les douleurs des autres. Notre vie est à Dieu et nous devons la dépenser à son service, en nous préoccupant généreusement des âmes, en leur montrant par la parole et par l’exemple, la profondeur des exigences chrétiennes.
Jésus attend que naisse en nous le désir d’acquérir cette science, pour nous répéter : celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Et nous répétons : apprends-nous à nous oublier nous-mêmes, pour penser à toi et à toutes les âmes. De cette manière, le Seigneur nous fera avancer par sa grâce, comme lorsque nous commencions à écrire — vous rappelez-vous ces bâtons de notre enfance, guides par la main du maître ? — et nous commencerons ainsi à goûter le bonheur de manifester notre foi, cet autre don de Dieu, par une conduite chrétienne ferme, dans laquelle tous pourront lire les merveilles divines.
Il est Ami ; l’Ami : vos autem dixi amicos, dit-il. Il nous appelle amis et c’est lui qui a fait le premier pas ; il nous a aimés le premier. Cependant, il n’impose pas son affection ; il l’offre. Il la montre par le signe le plus clair de l’amitié : personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. Il était l’ami de Lazare. Il a pleuré quand il l’a vu mort, et il l’a ressuscité. S’il nous voit froids, sans désir, peut-être avec la dureté d’une vie intérieure qui s’éteint, son appel nous donnera la vie : je te l’ordonne, mon ami, lève-toi et marche, sors de cette vie étroite qui n’est pas une vie.
Notre méditation du Jeudi-Saint s’achève. Si le Seigneur nous a aidés — et il y est toujours disposé, si nous lui ouvrons notre cœur —, nous sentirons l’urgence de répondre au plus important : aimer. Et nous saurons, par une vie de service, répandre cette charité parmi les autres hommes. Je vous ai donné l’exemple, répète Jésus à ses disciples la nuit de la Cène après leur avoir lavé les pieds. Éloignons de nos cœurs l’orgueil, l’ambition, les désirs de domination ; et autour de nous et en nous, règneront, enracinées dans le sacrifice personnel, la paix et la joie.
Terminons par une filiale pensée d’amour pour Marie, mère de Dieu et notre mère. Pardonnez-moi de vous raconter de nouveau un souvenir d’enfance : il s’agit d’une image qui se répandit dans mon pays quand saint Pie X recommanda la communion fréquente. Elle représentait Marie adorant la Sainte Hostie. Aujourd’hui, comme à ce moment-là et comme toujours, Notre-Dame nous apprend à fréquenter Jésus, à le reconnaître et à le rencontrer dans les diverses circonstances de la journée et, d’une manière spéciale, en cet instant suprême — où le temps s’unit à l’éternité — du Saint Sacrifice de la messe : Jésus, dans un geste de prêtre éternel, attire à lui toutes choses, pour les placer, divino afflante spiritu, avec le souffle du Saint-Esprit, en la présence de Dieu le Père.
Document imprimé depuis https://escriva.org/fr/es-cristo-que-pasa/l-eucharistie-mystere-de-foi-et-d-amour/ (9 nov. 2024)