La fin surnaturelle de l'Église
Pour commencer, je veux vous rappeler ces mots de saint Cyprien : L'Église universelle se présente à nous comme un peuple qui tire son unité de l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Saint Cyprien, De oratione dominica, 23 ; PL 4, 553). Ne vous étonnez donc pas si, en cette fête de la Très Sainte Trinité, l'homélie parle de l'Église ; c'est que l'Église prend racine dans le mystère fondamental de notre foi catholique : celui de Dieu un en essence et trine en personnes.
Les Pères de l'Église l'ont toujours vue ainsi : centrée sur la Trinité. Voyez la clarté avec laquelle s'exprime saint Augustin : Dieu habite donc dans son temple : non seulement le Saint-Esprit, mais aussi le Père et le Fils La sainte Église est par conséquent le temple de Dieu, c'est-à-dire de la Trinité tout entière (Saint Augustin, Enchiridion, 56, 15 ; PL 40, 259).
Quand nous nous réunirons de nouveau dimanche prochain, nous considérerons un autre aspect merveilleux de la sainte Église : ses caractères, que nous réciterons d'ici peu dans le Credo, après avoir chanté notre foi au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Et in Spiritum Sanctum, disons-nous. Et ensuite : et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam ( Credo de la Sainte Messe) ; nous affirmons qu'il n'y a qu'une seule Église, sainte, catholique et apostolique.
Tous ceux qui ont vraiment aimé l'Église ont su rapporter ces quatre notes au mystère le plus ineffable de notre sainte religion : celui de la Très Sainte Trinité. Nous croyons en l'Église de Dieu, une, sainte, catholique et apostolique, dans laquelle nous recevons la doctrine ; nous connaissons le Père, le Fils et le Saint-Esprit et nous sommes baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Saint Jean Damascène, Adversus Icon., 12 ; PG 96, 1358, D).
Nous devons méditer souvent, pour ne pas l'oublier, que l'Église représente un mystère grand et profond. Nous ne pourrons pas l'appréhender pleinement en cette vie. Si la raison essayait de l'expliquer à elle seule, elle ne verrait que la réunion de personnes qui accomplissent certains préceptes et qui pensent de façon semblable. Mais cela, ce ne serait pas la sainte Église.
Nous les catholiques, nous trouvons dans la sainte Église notre foi, nos règles de conduite, notre prière, le sens de la fraternité, la communion avec tous nos frères déjà disparus et qui se purifient dans le purgatoire — l'Église souffrante — ou avec ceux qui jouissent déjà de la vision béatifique — l'Église triomphante — et aiment éternellement le Dieu trois fois saint. C'est l'Église qui demeure ici et qui, en même temps, transcende l'histoire. L'Église qui est née sous la protection de sainte Marie et qui continue, sur la terre et au ciel, à la louer comme Mère.
Croyons donc fermement au caractère surnaturel de l'Église : proclamons-le, si besoin est, parce que nombreux sont ceux qui de nos jours — à l'intérieur même de l'Église et jusque dans ses hautes sphères — ont oublié ces vérités essentielles et prétendent donner une image de l'Église qui n'est pas sainte, qui n'est pas une, qui ne saurait être apostolique parce qu'elle ne s'appuie pas sur le roc de Pierre, qui n'est pas catholique parce qu'elle est sillonnée de particularismes illégitimes, de caprices humains.
Ce n'est pas nouveau. Depuis que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondé la sainte Église, notre Mère a souffert une persécution constante. Peut-être qu'à d'autres époques les agressions étaient organisées au grand jour ; à présent, il s'agit bien souvent d'une persécution sournoise. Aujourd'hui comme hier, on continue de s'attaquer à l'Église.
Je vous répéterai une fois de plus que je ne suis pessimiste ni par tempérament ni par inclination. Comment être pessimiste quand Notre Seigneur nous a promis d'être avec nous jusqu'à la fin des siècles (Cf. Mt 28, 20) ? L'effusion de l'Esprit-Saint a fait de la réunion des disciples au Cénacle la première manifestation publique de l'Église (Léon XIII, encyclique Divinum illud munus, ASS 29, p. 648 : Ecclesia, quæ jam concepta, ex latere ipso secundi Adami velut in cruce dormientis orta erat, sese in lucem hominum insigni modo primitus dedit die celeberrima Pentecostes. Ipsaque die beneficia sua Spiritus Sanctus in mystico Christi Corpore prodere coepit.).
Dieu Notre Père — ce Père aimant qui prend soin de nous comme de la prunelle de ses yeux (Dt 32, 10), ainsi que nous le rapporte l'Écriture avec une expression imagée pour nous le faire comprendre — ne cesse de sanctifier, par l'Esprit Saint, l'Église fondée par son Fils bien-aimé. Mais l'Église vit actuellement des jours difficiles : ce sont des années de grand désarroi pour les âmes. La clameur de la confusion s'élève de toutes parts et toutes les erreurs qui se sont produites au long des siècles réapparaissent bruyamment.
Foi. Nous avons besoin de foi. Si l'on regarde avec les yeux de la foi, l'on découvre que l'Église porte en elle et diffuse autour d'elle sa propre apologie. Celui qui la regarde, celui qui l'étudie avec l'amour de la vérité doit reconnaître que, indépendamment des hommes qui la composent et des modes pratiques sous lesquels elle se présente, elle porte en elle un message de lumière universelle et unique, libérateur et nécessaire, divin (Paul VI, allocution du 23.VI.1966).
Quand nous entendons la voix de l'hérésie — car il s'agit bien d'hérésie, je n'ai jamais aimé les euphémismes —, quand nous remarquons que l'on attaque impunément la sainteté du mariage et celle du sacerdoce ; la conception immaculée de notre Mère sainte Marie et sa virginité perpétuelle, ainsi que tous les autres privilèges et bienfaits dont Dieu l'a ornée ; le miracle continuel de la présence réelle de Jésus-Christ dans la Sainte Eucharistie, le primat de Pierre, et jusqu'à la résurrection de Notre Seigneur, comment notre âme tout entière ne se remplirait-elle pas de tristesse ? Mais ayez confiance : la sainte Église est incorruptible. L'Église vacillera si son fondement vacille, mais le Christ pourra-t-il vaciller ? Tant que le Christ ne vacille pas, l'Église ne faiblira jamais jusqu'à la fin des temps (Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, 103, 2, 5 ; PL 37, 1353).
De même qu'il y a deux natures dans le Christ, l'humaine et la divine, de même nous pouvons, par analogie, parler de l'existence d'un élément humain et d'un élément divin dans l'Église. L'aspect humain est évident pour tout le monde. Ici-bas l'Église est composée d'hommes ; elle est pour les hommes ; et qui dit homme dit liberté, possibilité de grandeur et de mesquinerie, d'héroïsme et de défaillance.
Si nous n'admettions que cet élément humain dans l'Église, nous ne la comprendrions jamais, parce que nous ne serions pas parvenus à la porte du mystère. La Sainte Écriture emploie beaucoup d'expressions, tirées de l'expérience humaine, pour parler du Royaume de Dieu et de sa présence parmi nous, dans l'Église. Elle la compare au bercail, au troupeau, à la maison, à la semence, à la vigne, au champ que Dieu a ensemencé ou au terrain sur lequel il a construit. Mais elle met l'accent sur une expression qui les résume toutes : l'Église est le Corps du Christ.
C'est encore le Christ qui a donné aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du corps du Christ (Ep 4, 11-12). Saint Paul écrit aussi que nous, à plusieurs, nous ne formons qu'un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres (Rm 12, 5). Comme notre foi est lumineuse ! Nous sommes tous dans le Christ parce qu' il est la tête du corps de l'Église (Col 1, 18).
C'est la foi que les chrétiens ont toujours confessée. Écoutez avec moi ces paroles de saint Augustin : Et depuis lors le Christ entier est formé de la tête et du corps, vérité que vous connaissez, je n'en doute pas. La tête est notre Sauveur lui-même, qui a souffert sous Ponce Pilate et, après être ressuscité d'entre les morts, est maintenant assis à la droite du Père. Et l'Église est son corps. Non pas cette église-ci ou celle-là, mais celle qui s'est répandue à travers le monde entier. Ce n'est pas non plus seulement celle qui existe parmi les hommes d'aujourd'hui, car ceux qui ont vécu avant nous et ceux qui doivent exister après nous jusqu'à la fin du monde en font également partie. Toute l'Église formée par la réunion des fidèles, parce que tous les fidèles sont membres du Christ, a donc pour tête le Christ qui, du ciel, gouverne son corps. Et bien que cette Tête soit hors de vue du corps, elle lui est néanmoins unie par l'amour (Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, 56, 1 ; PL 36, 662).
Vous comprendrez maintenant pourquoi l'on ne peut pas séparer l'Église visible de l'Église invisible. L'Église est à la fois corps mystique et corps juridique. Parce que l'Église est un corps, elle est visible aux yeux (Léon XIII, encyclique Satis cognitum, ASS 28, p. 710), enseigne Léon XIII. Des misères, des hésitations, des trahisons apparaissent dans le corps visible de l'Église, dans le comportement des hommes qui la composent ici, sur la terre. Mais l'Église ne se termine pas là ; elle ne se confond pas non plus avec ces conduites erronées : en revanche, il ne manque pas, ici et de nos jours, de preuves de générosité, d'affirmations héroïques, de vies saintes qui ne font pas de bruit, qui se consument avec joie au service de leurs frères dans la foi et de toutes les âmes.
Pensez en outre que si les défaillances dépassaient en nombre les attitudes courageuses, il resterait encore la réalité mystique — claire, indéniable, bien que nous ne la percevions pas avec les sens — du Corps du Christ Notre Seigneur en personne, l'action du Saint-Esprit, la tendre présence du Père.
Par conséquent, l'Église est inséparablement humaine et divine. Par son origine, l'Église est donc une société divine : par sa fin, et par les moyens immédiats qui y conduisent, elle est surnaturelle ; par les membres dont elle se compose et qui sont des hommes, elle est une société humaine ( Ibid., p. 724). Elle vit et agit dans le monde. Toutefois sa fin et sa force ne se trouvent pas sur la terre, mais au Ciel.
Ce serait une grave erreur que d'essayer de séparer une Église charismatique — qui serait celle véritablement fondée par le Christ — d'une autre Église juridique ou institutionnelle, qui serait l’œuvre des hommes et le simple produit de contingences historiques. Il n'y a qu'une Église. Le Christ n'a fondé qu'une Église : visible et invisible, avec un corps hiérarchique et organisé, avec une structure fondamentale de droit divin et une profonde vie surnaturelle qui l'anime, la soutient et la vivifie.
Et l'on ne peut manquer de se rappeler que le Seigneur, quand il a institué son Église, ne l'a pas conçue, ni instituée, formée de plusieurs communautés qui se ressembleraient par certains traits généraux, mais seraient distinctes les unes des autres, et non rattachées entre elles par ces liens, qui peuvent rendre indivisible et unique l'Église Aussi bien, quand Jésus-Christ parle de cet édifice mystique, il ne mentionne qu'une seule Église, qu'il appelle sienne : « Je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18). Toute autre qu'on voudrait imaginer en dehors de celle-là, n'étant point fondée par Jésus-Christ, ne peut être la véritable Église de Jésus-Christ ( Ibid., pp. 712 et 713).
Ayons la foi, je le répète ; augmentons notre foi ; demandons-la à la Très Sainte Trinité, dont nous célébrons la fête aujourd'hui. Il peut se passer toute sorte de choses, sauf que le Dieu trois fois saint abandonne son Épouse.
Dans le premier chapitre de son épître aux Éphésiens, saint Paul affirme que le mystère de Dieu, annoncé par le Christ, se réalise dans l'Église. Dieu le Père lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l'Église qui est son corps ; et l'Église est l'accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble de sa plénitude (Ep 1, 22-23). Le mystère de Dieu consiste, quand les temps seront accomplis, à ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres (Ep 1, 10).
Mystère insondable, pure gratuité d'amour, parce qu'il nous a élus en lui dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour (Ep 1, 4). L'Amour de Dieu n'a pas de bornes : saint Paul lui—même annonce que Notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1 Tm 2, 4).
C'est en cela, et en cela seulement, que consiste la fin de l'Église : le salut des âmes, une par une. C'est pour cela que le Père a envoyé son Fils, et que moi aussi je vous envoie (Jn 20, 21). D'où le commandement de faire connaître la doctrine et de baptiser, pour que la Très Sainte Trinité habite dans l'âme par la grâce : Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde (Mt 28, 18-20).
Ce sont les paroles simples et sublimes de la fin de l'Évangile de saint Matthieu : elles marquent l'obligation de prêcher les vérités de foi, l'urgence de la vie sacramentelle, la promesse de l'assistance continuelle du Christ à son Église. L'on n'est pas fidèle au Seigneur si l'on délaisse les réalités surnaturelles que sont l'instruction dans la foi et la morale chrétiennes, la pratique des sacrements. C'est avec ce commandement que le Christ fonde son Église. Tout le reste est secondaire.
Nous ne pouvons pas oublier que l'Église est beaucoup plus qu'un chemin de salut : c'est l'unique chemin. Et cela, ce ne sont pas les hommes qui l'ont inventé ; c'est le Christ qui l'a établi : Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé : celui qui ne croira pas sera condamné (Mc 16, 16). C'est pourquoi l'on affirme que l'Église est nécessaire, d'une nécessité de moyen, pour se sauver. Au IIe siècle, Origène écrivait déjà : Si quelqu'un veut se sauver, qu'il vienne à cette demeure afin de pouvoir y arriver Que personne ne se trompe lui-même : en dehors de cette demeure, c'est-à-dire en dehors de l'Église, personne ne se sauve (Origène, In Iesu Nave hom., 5, 3 ; PG 12, 841). Et saint Cyprien : Si quelqu'un avait échappé (au déluge) en dehors de l'arche de Noé, nous admettrions alors que celui qui abandonne l'Église puisse échapper à la condamnation (Saint Cyprien, De catholicæ Ecclesiæ unitate, 6 ; PL 4, 503).
Extra Ecclesiam, nulla salus. C'est un avertissement constant des Pères de l'Église : l'on peut tout trouver en dehors de l'Église catholique — admet saint Augustin — sauf le salut. On peut avoir l'honneur, on peut avoir les sacrements, on peut chanter “ alléluia », on peut répondre “ amen », on peut affirmer l'Évangile, on peut avoir foi dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et la prêcher ; mais l'on ne peut jamais trouver le salut, si ce n'est dans l'Église catholique (Saint Augustin, Sermo ad Cassariensis ecclesiæ plebem, 6 ; PL 43, 456).
Néanmoins, comme Pie XII le déplorait il y a une vingtaine d'années, quelques-uns réduisent à une vaine formule la nécessité d'appartenir à l'Église pour arriver au salut éternel (Pie XII, encyclique Humani generis, AAS 42, p. 570). Ce dogme de foi constitue le fondement de l'activité corédemptrice de l'Église et de la grave responsabilité apostolique des chrétiens. Parmi les commandements exprès du Christ, celui de nous incorporer à son Corps Mystique par le baptême est formulé de façon catégorique. Le Sauveur n'a pas seulement ordonné que tous les peuples entrassent dans l'Église, mais il a décidé aussi que l'Église serait le moyen de salut, sans lequel nul ne peut entrer dans le royaume de sa gloire éternelle (Pie XII, Lettre du Saint-Office à l'Archevêque de Boston, Denzinger-Schön. 3868).
C'est un dogme de foi que celui qui n'appartient pas à l'Église ne se sauve pas ; et que celui qui ne reçoit pas le baptême n'entre pas dans l'Église. La justification, comme l'a établi le Concile de Trente, depuis la promulgation de l'Évangile, ne peut s'accomplir sans le bain de la régénération ni sans le désir de le recevoir (Décret De justificatione, chap. 4, Denzinger-Schön. 1524).
C'est là une exigence continuelle de l'Église qui, si elle met en notre âme l'aiguillon du zèle apostolique, montre également avec clarté la miséricorde infinie de Dieu envers ses créatures.
Il y a deux façons de ne pas être baptisé. D'une part, ne l'être ni de fait ni de désir : c'est le cas de ceux qui ne sont pas baptisés et ne veulent pas l'être. Et c'est manifestement mépriser le sacrement, au moins chez ceux qui ont l'usage du libre arbitre. Ceux qui ainsi n'ont pas le baptême, ne peuvent parvenir au salut, puisque ni sacramentellement, ni spirituellement, ils ne sont incorporés au Christ qui seul peut nous sauver. D'autre part, on peut n'être pas baptisé de fait, mais en avoir le désir. C'est le cas de celui qui désire être baptisé, mais qui par accident est surpris par la mort avant d'avoir pu recevoir le baptême. Celui-là peut parvenir au salut à cause du désir du baptême, qui procède de la foi “ qui opère par la charité », par laquelle Dieu, dont la puissance n'est pas liée aux sacrements visibles, sanctifie intérieurement l'homme (Saint Thomas, S. Th., III, q. 68, a. 2).
Bien que la félicité éternelle et surnaturelle soit un don entièrement gratuit et qu'elle ne soit due à personne, à aucun titre — et moins encore après le péché — Dieu Notre Seigneur ne la refuse à personne : sa générosité est infinie. Nous savons et vous savez que ceux qui ignorent de façon invincible notre très sainte religion, et qui mènent une vie honnête et droite en observant avec soin la loi naturelle et ses préceptes gravés par Dieu dans le cœur de tous, tout en étant disposés à obéir à Dieu, ceux-là peuvent, avec l'aide de la lumière et de la grâce divines, acquérir la vie éternelle (Pie IX, encyclique Quanto conficiamur moerore 10.VIII.1863 : Denzinger-Schön. 1677 (2866)). Dieu seul sait ce qui se passe dans le cœur de tout homme, et il ne s'occupe pas des âmes en bloc, mais une par une. Il n'appartient à personne de juger sur cette terre du salut ou de la condamnation éternelle dans un cas concret.
Mais n'oublions pas que la conscience peut se déformer coupablement, s'endurcir dans le péché et résister à l'action salvatrice de Dieu. D'où la nécessité de prêcher la doctrine du Christ, les vérités de foi et les normes morales ; d'où aussi le besoin des sacrements, établis par Jésus-Christ comme causes instrumentales de sa grâce (Cf. Saint Thomas, S. Th. III, q. 62, a. 1) et remèdes aux misères qui découlent de notre condition de nature déchue (Cf. ibid., q. 61, a. 2). D'où en outre, l'avantage de recourir fréquemment au sacrement de la Pénitence et à la Communion Eucharistique.
Par conséquent, la terrible responsabilité de tous dans l'Église, et spécialement des pasteurs, se concrétise parfaitement dans ces conseils de saint Paul : Je t'adjure devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, au nom de son apparition et de son règne, proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire. Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la sainte doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passions et l'oreille leur démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité et détourneront l'oreille de la vérité pour se tourner vers les fables (2 Tm 4, 1-4).
Je ne saurais dire combien de fois ces paroles prophétiques de l'Apôtre se sont réalisées. Mais seul un aveugle ne se rendrait pas compte qu'elles s'accomplissent actuellement presque au pied de la lettre. On rejette la doctrine des commandements de Dieu et de l'Église ; on déforme le contenu des béatitudes en en faisant une lecture politico-sociale ; et l'on traite d'ignorant ou de défenseur obstiné du passé celui qui s'efforce d'être humble, doux et pur de cœur. On ne supporte pas le joug de la chasteté, et l'on invente mille façons de tourner en dérision les préceptes divins du Christ.
Il y a un symptôme qui englobe tous les autres : la tentative de changer les fins surnaturelles de l'Église. Par justice, il y en a qui ne comprennent déjà plus vie de sainteté, mais lutte politique déterminée, plus ou moins empreinte de marxisme, ce qui est inconciliable avec la foi chrétienne. Par libération, ce n'est pas la bataille personnelle pour échapper au péché qu'ils admettent, mais une tâche humaine qui peut être noble et juste, en elle-même, mais qui n'a pas de sens pour le chrétien si elle l'amène à minimiser l'importance de la seule chose nécessaire (Cf. Lc 10, 42), le salut éternel des âmes, une à une.
Avec un aveuglement qui vient de l'éloignement de Dieu — ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi (Mt 15, 8) — l'on fabrique une image de l'Église qui n'a rien à voir avec celle que le Christ a fondée. Il n'est pas jusqu'au Saint Sacrement de l'autel — le renouvellement du Sacrifice du Calvaire — qui ne soit profané, ou réduit à un pur symbole de ce que l'on appelle « communion des hommes entre eux ». Qu'arriverait-il aux âmes si Notre Seigneur n'avait pas versé pour nous jusqu'à la dernière goutte de son précieux sang ! Comment est-il possible que l'on méprise le miracle perpétuel de la présence réelle du Christ dans le tabernacle ? Il est demeuré, pour que nous le fréquentions, pour que nous l'adorions, pour que, gage de la gloire future, nous nous décidions à suivre ses traces.
Le moment présent est un temps d'épreuves et, par une clameur continue (Cf. Is 58, 1), nous devons demander au Seigneur de l'écourter, de regarder son Église avec miséricorde et d'accorder de nouveau la lumière surnaturelle à l'âme des pasteurs et de tous les fidèles. Il n'y a aucune raison pour que l'Église s'attache à plaire aux hommes, étant donné que ce ne seront jamais les hommes — ni séparément, ni tous ensemble — qui donneront le salut éternel : Celui qui sauve, c'est Dieu.
Il faut répéter aujourd'hui ce que saint Pierre disait devant les personnages importants de Jérusalem : Ce Jésus est la pierre que vous, les bâtisseurs, vous avez rejetée, et qui est devenue la pierre d'angle ; et le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n'y a, sous le ciel, aucun autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés (Ac 4, 11-12).
Ainsi parlait le premier pape, la pierre sur laquelle le Christ édifia son Église, mû par sa dévotion filiale au Seigneur et par sa sollicitude pour le petit troupeau qui lui avait été confié. Les premiers chrétiens apprirent de lui et des autres apôtres à aimer l'Église avec affection.
Avez-vous remarqué, en revanche, le peu de piété avec lequel on parle quotidiennement de notre sainte Mère l'Église ? Comme il est consolant de lire chez les Pères de l'antiquité chrétienne ces phrases pleines d'amour enflammé pour l'Église du Christ ! Aimons le Seigneur notre Dieu, aimons son Église — écrit saint Augustin. Lui comme notre Père, elle comme notre mère. Que nul ne dise : sans doute, j'ai recours aux idoles, je consulte les devins et les sorciers ; mais je n'abandonne pas l'Église de Dieu, je suis catholique : fidèle à votre mère, vous offenseriez alors votre Père. Un autre dit : loin de moi de consulter les sorciers, de rechercher les démoniaques, de recourir à des divinations sacrilèges ; je ne vais pas adorer les démons, je ne sers pas les pierres ; mais je suis du parti de Donat. De quoi vous sert de ne pas avoir offensé votre Père, qui sera contraint de venger l'offense faite à votre mère ? (Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, 88, 2, 14 ; PL 37, 1140) Saint Cyprien, lui, avait déclaré plus brièvement : Qui n'a pas l'Église pour Mère ne peut avoir Dieu pour Père (Saint Cyprien, op. cit., PL 4, 502).
Beaucoup se refusent de nos jours à écouter la doctrine véritable sur notre sainte Mère l'Église. Certains veulent réinventer l'institution, avec la folie d'implanter dans le Corps Mystique du Christ une démocratie du genre de celle qui se conçoit ou plus exactement, de celle que l'on prétend promouvoir dans la société civile : tous égaux en toute chose. Et ils ne sont pas convaincus que, par institution divine, l'Église se compose du Pape, des évêques, des prêtres, des diacres et des laïcs. C'est ce que Jésus a voulu.
Par volonté divine, l'Église est une institution hiérarchique. Le Concile Vatican II l'appelle société hiérarchiquement organisée (Concile Vatican II, constitution dogmatique Lumen gentium, 8) dans laquelle les ministres détiennent un pouvoir sacré ( Ibid., n. 18). Non seulement la hiérarchie est compatible avec la liberté mais, bien plus, elle est au service de la liberté des fils de Dieu (Cf. Rm 8, 21).
Le terme de démocratie n'a aucun sens dans l'Église qui — j'insiste — est hiérarchique par volonté divine. Mais hiérarchie veut dire gouvernement saint et ordre sacré ; aucunement arbitraire humain ou despotisme infra-humain. Le Seigneur a établi dans l'Église un ordre hiérarchique, qui ne doit pas se transformer en tyrannie, parce que l'autorité elle-même est un service, tout comme l'obéissance.
Il y a une égalité dans l'Église : une fois baptisés, nous sommes tous égaux, parce que nous sommes enfants du même Dieu, Notre Père. En tant que chrétiens, aucune différence ne sépare le Pape et le dernier venu à l'Église. Mais cette égalité radicale n'entraîne pas pour autant la possibilité de changer la constitution de l'Église, dans ce qui a été établi par le Christ. Par une volonté divine expresse, nous avons une diversité de fonctions, qui comporte aussi une diversité de capacités, un caractère indélébile conféré aux ministres sacrés par le sacrement de l'Ordre. Le sommet de cette organisation est constitué par le successeur de Pierre et, avec lui et sous lui, tous les évêques avec leur triple mission de sanctifier, de gouverner et d'enseigner.
Permettez-moi cette insistance réitérée : les vérités de foi et de morale ne se déterminent pas à la majorité des voix, mais elles composent le dépôt — depositum fidei — remis par le Christ à tous les fidèles et confié, quand à son exposition et à son enseignement autorisé, au Magistère de l'Église.
Ce serait une erreur de penser qu'il faut modifier la constitution de l'Église pour la mettre en accord avec son temps, parce que les hommes ont peut-être pris davantage conscience des liens de solidarité qui les unissent les uns aux autres. Le temps n'appartient pas aux hommes, qu'ils soient ou non des ecclésiastiques ; le temps appartient à Dieu, qui est le Maître de l'histoire. Et l'Église ne peut donner le salut aux âmes que si elle demeure fidèle au Christ, dans sa constitution, dans ses dogmes, dans sa morale.
Repoussons donc l'idée que l'Église — oubliant le Sermon sur la Montagne — cherche le bonheur humain sur la terre parce que nous savons que son unique tâche consiste à mener les âmes à la gloire éternelle du paradis ; repoussons toute solution naturaliste, qui méprise le rôle primordial de la grâce divine ; repoussons les opinions matérialistes, qui essaient de faire perdre leur importance aux valeurs spirituelles dans la vie de l'homme ; repoussons également les théories sécularisantes, qui prétendent identifier les fins de l'Église de Dieu avec celles des États terrestres, en en déguisant l'essence, les institutions et l'activité, sous des caractéristiques semblables à celles de la société temporelle.
Rappelez-vous les réflexions de saint Paul que nous avons lues dans l'épître : Ô abîme de richesse dans la sagesse et dans la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies impénétrables ! Qui donc a connu la pensée du Seigneur ? Qui en fut jamais le conseiller ? Qui l'a prévenu de ses dons, pour être payé de retour ? Car tout est de lui, par lui, pour lui. À lui soit la gloire éternellement ! Amen (Rm 11, 33-36). Vus à la lumière de la parole de Dieu, comme les desseins humains paraissent peu de chose quand ils essayent de modifier ce que Notre Seigneur a établi !
Mais je ne dois pas vous cacher que l'on constate partout à l'heure actuelle une étrange capacité chez l'homme : ne pouvant rien contre Dieu, il s'acharne contre autrui, se faisant ainsi un terrible instrument du mal, une occasion et une incitation au péché, un semeur de confusion, cette confusion qui porte à commettre des actes intrinsèquement mauvais, tout en les présentant comme bons.
L'ignorance a toujours existé : mais actuellement l'ignorance la plus grossière en matière de foi et de morale se déguise parfois sous des termes pompeux d'apparence théologique. C'est pourquoi le commandement que le Christ donne à ses apôtres — nous venons de l'écouter dans l'Évangile — retrouve, si l'on peut dire, une actualité pressante : Allez et enseignez toutes les nations (Mt 28, 19). Nous ne pouvons pas nous en désintéresser ; nous ne pouvons pas nous croiser les bras ; nous ne pouvons pas nous enfermer en nous-mêmes. Allons livrer pour Dieu une grande bataille de paix, de sérénité, de doctrine.
Nous devons être compréhensifs et, avec une grande affection, tout recouvrir du manteau de la charité. Une charité qui nous affermit dans la foi, qui augmente notre espérance et qui nous rend forts, pour proclamer bien haut que l'Église n'est pas cette image que certains proposent. L'Église est de Dieu et ne poursuit qu'une seule fin : le salut des âmes. Approchons-nous du Seigneur, parlons avec lui dans la prière, face à face, demandons-lui pardon de nos misères personnelles et réparons pour nos péchés et pour ceux des autres hommes qui, dans ce climat de confusion, n'arrivent peut-être pas à se rendre compte de la gravité de leurs offenses envers Dieu.
Au cours de la Sainte Messe de ce dimanche, par la rénovation non sanglante du sacrifice sanglant du Calvaire, Jésus — Prêtre et Victime — s'immolera pour les péchés des hommes. Ne le laissons pas seul : que jaillisse en notre cœur un désir ardent d'être avec lui, au pied de la Croix ; que redouble notre clameur au Père, Dieu de miséricorde, pour qu'il rende la paix au monde, la paix à l'Église, la paix aux consciences.
Si nous agissons de la sorte, nous rencontrerons au pied de la Croix la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère. Sa main bénie nous mènera jusqu'à Jésus et par lui, jusqu'au Père, dans le Saint-Esprit.
Document imprimé depuis https://escriva.org/fr/amar-a-la-iglesia/la-fin-surnaturelle-de-l-eglise/ (10 oct. 2024)